Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

 
Antoine Glaser dirige La Lettre du continent, une publication qui produit de l'information « confidentielle » sur les relations franco-africaines. Interrogé sur la place de ces relations dans le discours des candidats en campagne, il renverse les idées reçues et fustige une diplomatie superficielle et bien pensante.


 

Sur la lettre du continent, qu'il dirige :

C'est une lettre spécialisée sur l'Afrique, destiné à 70% aux chefs d'entreprises, à 20% aux diplomates et à 10% des politiques. C'est une lettre professionnelle. C'est le croisement entre le politique et le business. C'est de l'information confidentielle.

Sur le dernier sommet France-Afrique de Jacques Chirac :

Avec le sommet de Cannes, c'est vraiment la fin d'un époque. Mais elle est déjà très entamée depuis longtemps. La France a passé le relais économique et financier à la Banque mondiale et au FMI. Mais avec cette génération d'après-guerre froide au pouvoir en France, comme Chirac, ça donnait une impression d'influence de la France en Afrique. La présence militaire de la France sur le continent donne aussi cette impression, mais il faut vraiment relativiser.

Sur les propos des candidats sur les relations franco-africaines :

Chirac ne va pas disparaître. Il va mettre son carnet d'adresse de relations au service de pays comme le Japon ou l'Allemagne, en disant « je suis l'avocat de l'Afrique dans le monde ». Les candidats voient l'Afrique comme une capacité de nuisance, en parlant d'immigration. (…) On va voir ce que signifie une Afrique mondialisée. C'est-à-dire d'un côté une France qui perd de son influence, qui voit l'Afrique au travers de l'immigration, avec Sarkozy et Royal (avec un côté plus associatif pour elle). Mais au niveau du politique et du militaire, il faudra bien qu'ils prennent des décisions sur le militaire, le franc CFA, la francophonie. C'est inquiétant de voir qu'aucun de ces dossiers n'est abordé et en même temps on se projette dans un avenir virtuel, associatif, sans savoir concrètement comment ça va fonctionner quand l'un ou l'autre seront au pouvoir. (…) Ce ne sont pas des hommes politiques qui vont réellement changer les relations franco-africaines. La perte d'influence de la France est globale, générale, même dans le Maghreb et le monde arabe. La France n'a pas du tout anticipé - que ce soit Chirac ou les candidats -, en ayant des relations avec les nouvelles générations d'africains, dont beaucoup sont partis au Canada ou à Pékin. Au niveaux européen, il y a des pays qu'on ne voyait pas auparavant comme l'Allemagne qui va jouer sa carte en Afrique. Chacun défend ses intérets. La Chine défend ses intérêts, elle est arrivée très vite sur le continent, en faisant un peu comme la France, en ayant des relations avec les dirigeants africains, en les invitant à Pékin. Demain, ce sera l'Amérique latine. Le bouleversement est déjà engagé. (…) Il y a un leurre de croire que la France est encore extrêmement influente en Afrique. Ce leurre vient de sa présence militaire parce qu'on voit des soldats français dans les rues à Abidjan ou dans des petits pays comme la Centrafrique.

Sur le co-développement prôné par de nombreux candidats, de Philippe de Villiers à Ségolène Royal :

On va vivre avec les candidats ce que j'appellerais « l'Afrique des belles âmes ». Ce sont des gens qui prennent des positions pour le co-développement, on ne parle plus que d'humanitaire, d'associatif : il faut aider les femmes, les jeunes en Afrique… Mais ce n'est pas ça qui fait une vraie politique ! La France doit défendre des intérêts, doit savoir s'il restera trois bases militaires en Afrique - au Sénégal, au Gabon, et à Djibouti, - et quel sera le rôle des ces trois bases ? Est-ce qu'on doit réviser totalement les accords de défense qui lient la France à certains pays africains ? Que faire du franc CFA ? Quel argent mettre dans la Francophonie ? Faut-il maintenir les sommets France-Afrique ? Est-ce qu'ils faut pousser à ce que les sommets Europe-Afrique prennent une densité politique, avec une Europe de défense plus importante ? Pour l'instant on n'entend rien. Si vous avez trois ou quatre candidats, de de Villiers à Ségolène Royal, qui disent co-développement, pour moi ça veut dire : « stop à l'immigration ». Quand on dit co-développement, ça veut dire : « que les Africains restent chez eux et ne viennent pas en France». C'est encore l'Afrique comme capacité de nuisance. (…) Au moment où l'Afrique redevient un enjeu géostratégique, est une nouvelle frontière du XXIème siècle pour tous les pays émergents, les présidentiables me donnent l'impression de se bunkériser dans des affaires d'immigration, de co-développement, avec des programmes très défensifs. Ils disent ce qu'il ne faut plus que ce soit : plus de cellule africaine, plus d'intervention en Afrique sans saisir le Parlement… Tout le monde est d'accord ! Mais ce n'est pas ça qui fait une vraie ambition sur l'ensemble du continent.

Sur le soupçon d'une nostalgie néo-coloniale :

(Les candidats) pratiquent encore plus que d'autres l'écho des savanes. Ce n'est pas l'Afrique qui les intéresse, c'est bien évidemment la clientèle politique ici. La plupart des jeunes Français, même les jeunes des dirigeants des milieux d'affaires français en Afrique, vont dans l'humanitaire, le développement. C'est une clientèle politique toute trouvée. (…)

Je pense qu'il y a une grande hypocrisie : il n'y a plus une vedette de cinéma qui n'a pas son association humanitaire. Mais la crainte qu'on peut avoir, c'est que toute cette nébuleuse de l'Afrique des belles âmes se substitue à la politique et que les vraies décisions ne se prennent pas. L'Afrique va se privatiser de cette façon-là. Il n'y a plus de politique pour maintenant les budgets de la santé via les Etats en Afrique, mais les fondations comme celle de Bill Gates vont remplacer les budgets des Etats. Les associations vont devenir plus importantes que les Etats eux mêmes.

J'aimerais qu'ils (les candidats) me disent ce qu'ils vont faire à Djibouti ou dans le Darfour, au-delà de l'humanitaire. Est-ce qu'on va rapatrier les militaires français qui sont au Tchad ou en Centrafrique ? On n'en entend pas parler.


Sur le fait que les candidats s'expriment sur les relations franco-africaines dans la campagne présidentielle :

La question africaine n'est pas , abordée de façon concrète. Chirac fait du culturalisme, il considère que les Africains ne sont pas mûrs pour la démocratie, il n'accepte pas qu'on critique l'Afrique et les dirigeants africains parce qu'il considère qu'on a pillé ces pays pendant longtemps. Il est issu de cette génération de la guerre froide qui pense qu'il y a une communauté de destin entre la France et l'Afrique (…) C'est vraiment la Françafrique, c'est l'adage de Foccart : « ce qui est bon pour la Fran, ce est bon pour l'Afrique ». Chirac est resté dans cet esprit-là.

Mais quand on parle de l'Afrique dans la campagne, c'est plus par rapport à ce qui se passe dans les banlieues ici. C'est par rapport à la crainte du communautarisme en France, dans les communautés africaines ou des Noirs français. Alors que l'Afrique n'est pas un pays, c'est un continent avec un grande diversité et ça, on n'en parle pas concrètement.
 

Lundi 19 Février 2007 - 19:37
Propos recueillis par Anna Borrel et François Vignal.                                          

                                                       Source: marianne2.fr
                                     
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :