Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Le Nouvel Afrique Asie n° 158 - Novembre 2002

TCHAD

A qui le tour ? La mort de Youssouf Togoïmi, président du Mouvement pour la démocratie et la justice au Tchad (MDJT), suscite de nombreuses interrogations quant à une réelle volonté du président Idriss Déby de conclure la paix avec son opposition politico-militaire. Quelle suite sera réservée à l'appel du gouvernement qui dit, une nouvelle fois, être prêt à négocier… avec tout le monde?

Les traquenards de la paix

PAR MBAYE GUEYE

"Négocier avec Déby, c'est signer son arrêt de mort…" La phrase fut dite, il y a quelques années de cela, par un opposant tchadien. Une opinion qu'a d'ailleurs exprimée le député Ngareléjy Yorongar dans une interview qu'il nous a accordée récemment (voir notre n° 154, juillet-août 2002). La mort de Youssouf Togoïmi, le 24 septembre, à l'hôpital central de Tripoli, semble constituer une nouvelle preuve de ce qui ressemble décidément à un postulat dans les conflits internes au Tchad. Le président du Mouvement pour la démocratie et la justice au Tchad (MDJT) avait été évacué en Libye à la fin du mois d'août, après que son véhicule eut sauté sur une mine. Contre toute attente, Youssouf Togoïmi, âgé de 49 ans, n'est pas mort des blessures aux jambes consécutives à son "accident" : il serait en effet décédé d'une embolie cérébrale. Une information à prendre avec circonspection, d'autant que ses plus proches conseillers ne veulent pas, pour l'instant, s'avancer sur les vraies causes de cette disparition soudaine.

Cette brutale fin de parcours du chef du principal groupe rebelle tchadien suscite maintes interrogations. D'abord, celle de savoir s'il n'y pas derrière sa mort la main du gouvernement tchadien. Car, si elles ne sont pas coupables du décès du président du MDJT, les autorités tchadiennes en sont au moins responsables : c'est l'armée tchadienne qui avait en effet piégé, officiellement pour des raisons de défense, la route du Tibesti - dans le Nord du pays, près de la frontière avec le Niger - où le véhicule de Youssouf Togoïmi a sauté sur une mine fin août. N'djamena s'était alors empressé d'annoncer la mort du chef rebelle, avant d'être démenti par ses proches, ces derniers affirmant, au contraire, que le président du MDJT n'avait été que légèrement blessé au pied. D'après des sources hospitalières libyennes, Togoïmi avait, tout au plus, subi des fractures des fémurs. Que le président du MDJT puisse mourir de telles blessures était une hypothèse à exclure. Son décès subit, alors qu'il était, comme l'affirment certains de ses conseillers à Paris, en phase de guérison et entouré de son frère, de membres de sa famille, ainsi que de quelques amis, aurait même, semble-t-il, surpris ses médecins libyens.

Quelle qu'en soit la vraie cause, cette mort est une excellente nouvelle pour le gouvernement tchadien qui s'est félicité ouvertement et sans vergogne de sa disparition. Le ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement tchadien, Moctar Wawa Dahab, a ainsi déclaré que "le décès de Togoïmi, seul obstacle à la paix, ouvrait des perspectives de réconciliation". Question d'importance : le président du MDJT a-t-il finalement payé de sa vie son intransigeance, voire son refus de signer la paix aux conditions imposées par N'djamena ?

Il faut en effet savoir que le 7 janvier 2002, un accord cadre de paix, assorti d'un cessez-le-feu, avait été signé entre le gouvernement tchadien et le MDJT, sous le parrainage de la Libye. Très provisoirement, il avait mis fin à la guérilla des combattants toubous actifs dans le Nord depuis 1998. Ces négociations, entamées le 22 mars 2002 à Tripoli, auraient dû se poursuivre, et, en principe, s'achever par un accord de paix définitif. Ce qui n'a jamais été le cas. Elles ont en effet été suspendues en mai 2002, alors que l'Assemblée nationale tchadienne venait de voter une loi d'amnistie pour les combattants du MDJT. De graves dissensions avaient vu le jour au sein du MDJT, divisé en deux camps opposés sur les implications de l'accord de paix. Une aile du mouvement était favorable à un compromis avec N'djamena ; à sa tête, trois hommes : le premier vice-président du MDJT, Adoum Maurice Hel Bongo, le deuxième vice-président, responsable de la commission chargée de la réconciliation, le général Adoum Togoï, et le responsable des Affaires étrangères, Kailan Ahmed Touer. Cette aile, qualifiée de "molle", était prête non seulement à finaliser l'accord de paix du 7 janvier 2002, mais aussi à entrer dans un futur gouvernement d'union, sans trop se formaliser sur les conditions et les portefeuilles qui lui seraient proposés.

En face, les durs, conduits par le président-fondateur du MDJT, l'ex-ministre de la Défense de Idriss Déby, mettaient certaines conditions à la finalisation de l'accord de paix : le report des élections législatives, la mise en place d'un gouvernement de transition, des portefeuilles clés dans l'équipe ministérielle, l'élaboration d'une plate-forme de transition, la réforme de l'armée, de la justice, de l'administration territoriale, des finances. En juin, ces divergences entre les deux tendances se sont transformées en affrontement ouvert. Le bras de fer a abouti à la neutralisation du deuxième vice-président du mouvement, mis aux arrêts.

Désormais "prisonnier", le général Adoum Togoï est retenu dans un camp du MDJT situé dans l'Ennedi. Au mois de juillet, une réorganisation de la direction a été annoncée : sept responsables modérés ont été démis de leurs fonctions, provisoirement, dit-on, pour leurs activités jugées incompatibles avec les intérêts du mouvement. Début juillet, le gouvernement tchadien a annoncé la défection et le ralliement de deux cents combattants du MDJT. A l'inverse, le mouvement rebelle parlait d'intoxication, puisque, d'après ses responsables, il s'agissait simplement d'anciens prisonniers libérés de l'ANT, dont N'djamena avait grossi les rangs de quelques civils pour faire illusion. Fin août, au moment où Youssouf Togoïmi sautait sur une mine, les divergences, tant au sein du MDJT qu'entre le mouvement et le gouvernement tchadien, n'étaient pas aplanies.

Et, quoi qu'en dise N'djamena, avec la mort de Togoïmi, l'avenir de l'accord de paix signé en janvier dernier demeure encore aujourd'hui bien incertain. La preuve, à quelques jours de la mort du leader opposant, un accrochage a eu lieu entre troupes gouvernementales et combattants du MDJT. S'ajoute encore à l'incertitude le fait qu'après la disparition du chef rebelle, deux voix discordantes se sont fait entendre sur la conduite à tenir face au gouvernement. Depuis Genève, le premier vice-président du MDJT, Adoum Maurice Hel Bongo, un des tenants de la ligne modérée, appelait ainsi à une reprise rapide des négociations de paix avec le régime de N'Djamena. Tout en réclamant la libération de Adoum Togoï, il demandait également aux sept membres suspendus du bureau politique de reprendre leurs activités au sein du mouvement. Pourtant, quelques jours plus tard, le haut commandement militaire du mouvement, dirigé par le chef d'état-major Hassane Mardegué, exhortait ses combattants à rester "fidèles à la ligne" tracée par Youssouf Togoïmi. Autrement dit, à demeurer sur la ligne dure.

Dans ce contexte, personne ne peut préjuger de ce qu'il adviendra du MDJT. La même incertitude vaut pour l'accord de paix de janvier. Est-ce tout cela qui a poussé le régime d'Idriss Déby à changer son fusil d'épaule ? En effet, à peine le décès de Youssouf Togoïmi confirmée, la reprise des négociations avec une partie de l'opposition politico-militaire en exil était annoncée à Paris, après plus d'un an d'impasse. Elles avaient commencé en décembre 2001, à N'djamena, avec une délégation de la coordination des mouvements armés et partis politiques tchadiens (CMAP), fondée en 1999 et composée de treize organisations dont les leaders vivent en exil en France.

Ces négociations avec la CMAP ont conduit au même scénario que celles menées avec le MDJT : des dissensions internes ont fini par éclater au sein de la coordination après la crise née de la démission de son président, Antoine Bangui, à couteaux tirés avec l'un des poids lourds de la CMAP, Goukouni Weddeye, qui sera d'ailleurs exclu ultérieurement. Après cet épisode, ce sont les partisans de Jean-Prosper Boulada, président du Front uni pour une alternance démocratique au Tchad (FU/ADT) qui se sont opposés à ceux de Ahmat Yacoub, vice-président, également secrétaire général du Front national du Tchad rénové (FNTR).

En définitive, la CMAP a implosé au début de l'année 2002. Entrés en dissidence, Jean-Prosper Boulada et ses amis ont en effet créé la CMAP-Dialogue et démocratie. Et c'est avec cette faction, accusée par l'autre camp de connivence avec N'djamena, qu'une délégation conduite par le ministre des Affaires étrangères, Mahamat Saleh Annadif, a repris langue le 21 septembre à Paris. Au terme d'une réunion qui n'a duré que quelques heures, les deux parties ont publié un communiqué laconique, appelant seulement à la nécessité d'entamer des négociations avec tous les mouvements d'opposition politico-militaires, en vue de parvenir à une paix globale.

Précision utile : le gouvernement et la CMAP-DD s'engageaient, en même temps, à entreprendre séparément les démarches dans ce sens avec la trentaine de mouvements concernés, mais éparpillés un peu partout. Dans la logique de la CMAP comme dans celle du gouvernement, il s'agit d'impliquer tout le monde dans la conclusion d'un accord de paix, au besoin sous l'égide d'une tierce partie.

Méfiants, nombre d'opposants se demandent, du reste, ce que cache ce retour au dialogue, après une multitude d'échecs. Depuis dix ans, le gouvernement tchadien semble en effet avoir fait des négociations de paix son arme favorite pour liquider les opposants et conserver le pouvoir. Autant dire qu'au Tchad de Déby, il n'y a vraiment rien de nouveau. Sauf le pétrole. Mais on peut douter que l'or noir parvienne à mettre de l'huile dans les rouages de la paix.

 


Dix ans de sanglantes et stériles négociations

Le régime d'Idriss Déby a orchestré plusieurs négociations de paix qui toutes ont échoué. Entre autres, en 1991 : dialogue sans lendemain avec Goukouni Weddeye, président du Frolinat/CPR ; en 1992 : échec de la tentative de réconciliation avec Moussa Medela, du MDD, entreprise avec la médiation du président gabonais Omar Bongo ; en 1993 : mise sur pied par la Conférence nationale souveraine de la Commission de réconciliation nationale. Celle-ci, qui n'a jamais fonctionné, a finalement été dissoute par un décret présidentiel ; en 1993 : assassinat du colonel Abbas Koty, rentré au Tchad grâce à la médiation des présidents libyen et soudanais…

 


Le Nouvel Afrique Asie: africasi@micronet.fr

Source: Nouvel Afrique Asie

Tag(s) : #Hommage
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :